Je vous laisse méditer sur tout cela. De mon côté, j'ai pris beaucoup de plaisir à produire ce travail. Merci aux Guérilla Girls !
Aujourd'hui, je souhaite interroger l'impact de l'invisibilité de nombreux troubles psychiatriques sur notre santé et celle de nos sociétés. Ici, je vais parler en mon nom et en celui de la majorité des personnes que j'ai rencontrées cette année à l’hôpital : parce nos fragilités et nos handicaps ne se voient pas, parce qu'ils sont complexes et souvent incompris, nous vivons avec une culpabilité parfois invalidante et souvent lourde à porter. Une sorte de parasite. Un truc qui vous ronge et vous dépossède de vos capacités et de votre vitalité.
Parce que oui, vivre avec un trouble psy c'est :
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ne pas être capable de faire certaines choses (liées à la vie quotidienne et au travail) de façon constante et normée,
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c'est vivre avec une fatigabilité supérieure à la moyenne,
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c'est ne pas être suffisamment disponible pour nos proches, comme on le souhaiterait,
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c'est vivre avec une estime de soi et une confiance en soi qu'il faut porter à bout de bras et nourrir sans cesse si on ne veut pas qu'elles nous lâchent.
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C'est aussi apprendre à accepter toutes ces limites et à mettre en place des stratégies de survie physique et psychique pour garder la tête hors de l'eau. Et ça, je vous en ai déjà parlé, c'est ce que l'on appelle le rétablissement.
Vous savez donc désormais que invisibilité et culpabilité sont intrinsèquement liées. Pourtant, cela va plus loin encore. Ce dont je dois vraiment vous parler c'est du validisme. Mais qu'est ce que c'est ? Notre premier indice c'est le « isme », ce suffixe bien connu des militant.e.s.
On se fait une petite liste ? Racisme, sexisme, féminisme, classisme, spécisme, grossophobie....ah non, excusez-moi, celui-ci ne rentre pas dans la liste !
Petit éclairage avec la définition du mot validisme par Le Robert : « Système faisant des personnes valides la norme sociale. Par extension : discrimination envers les personnes en situation de handicap. » Je m'arrête là ou je continue ? Poursuivons avec une autre définition : « En droit français, la loi du 11 février 2005, définit le handicap comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions (…) mentales, cognitives ou psychiques (…) ».
On a donc d'un côté un système de pensée normatif qui nous dit que la norme c'est d'être en bonne santé pour être un membre actif et productif de la société (accessoirement une personne de sexe masculin blanche cis-genre) et de l'autre, une multiplicité de particularités de capacités, d'origines, de genres, de cultures, de façons de penser et de voir le monde. La norme est donc une illusion car il n'existe qu'une infinité de particularités. Eh bien non, c'est dommage, la norme existe bel et bien car elle est au cœur des rapports de domination qui favorisent les violences et les discriminations envers les particularismes.
C'est donc en partie parce qu'elles ont intégré, malgré elles, une pensée normée, que les personnes qui vivent avec un trouble psychique peuvent souffrir de culpabilité. Je vous arrête tout de suite, cela ne nous rend pas pour autant responsable de vivre avec ce parasite.
Si le combat est déséquilibré, il n'est pas perdu d'avance. De plus en plus de programmes de santé communautaire se développent en France. Ils remettent au cœur des parcours de rétablissement les patient.e.s. Ça aussi, je vous en ai déjà parlé.
Ce qui m'enthousiasme, c'est que certains courants féministes ont compris que le combat dépassait les rapports de genre, et qu'il concernait d'autres rapports de domination comme celui des blancs sur les communautés et personnes racisées, comme celui des êtres-humains sur la nature (souvent les hommes en fait – à ce sujet, faite des recherches sur l'éco-féminisme), des adultes sur les enfants, etc. À quand une intégration du validisme2?
Bien consciente que cette lettre, à l'instar des précédentes, est peut-être dense, je vous laisse digérer tout cela, et poursuivre au travers des références que j'ai eu à cœur de partager avec vous dans ce journal de résidence.
Je vous dis à bientôt, peut-être à l'occasion du vernissage de ce travail intitulé "Comme une branche de laquelle un oiseau vient de s'envoler", le 11 mai, à Chartres de Bretagne.
ADELINE
1/ Les Guerrilla Girls sont un groupe d'artistes féministes fondé à New York en 1985 et connu pour créer et diffuser des affiches afin de promouvoir la place des femmes et des personnes racisées dans les arts. Dans leurs actions, le groupe utilise la tactique du détournement culturel. Leur première performance consista à poser dans les rues de leur ville d'origine des affiches décriant le manque de représentation de ces groupes sociaux dans les galeries et les musées. Source : wikipédia
2/ Lire « Futures : comment le féminisme peut sauver le monde » par Lauren Bastide. Allary Éditions
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