Cette année, j'ai la chance d'être accueillie en résidence par la galerie Le Carré d'Art à Chartres de Bretagne (Réseau Diagonal), pour y développer un travail autour de la santé mentale. Je vous livre ici mon journal de résidence. Retrouvez les précédentes lettres de ce journal ici.
Journal de résidence
DÉCEMBRE 2022 (avec du retard ;-)
Lors d'un séjour marseillais, j'ai eu la chance d'assister à une réunion du Cofor. Cette structure se distingue par son approche singulière du rétablissement en santé mentale. Cette approche est basée sur un nouveau paradigme « considérant l’usager comme acteur de sa dynamique de rétablissement ». Cette structure unique en France, s'inspire du modèle des Recovery Colleges anglo-saxons. Mais avant de vous en dire plus, il me faut revenir aux épisodes précédents.
À Rennes, j'ai fait la connaissance de Sarah Jolly. Sarah nourrit une réflexion sur le traitement médical, social et politique des troubles psychiatriques. Sa recherche, elle la partage à travers son blog Une si belle folie. Sarah se définit comme usagère-militante de la psychiatrie. La psychiatrie, elle la connaît bien. Son expérience est donc le point de départ de sa réflexion et des travaux passionnants qu'elle partage. Grâce à Sarah et aux portes qu'elle m'a ouvertes ici à Rennes, j'ai pu avancer à grand pas dans ma recherche et poursuivre mes propres réflexions sur la psychiatrie.
Voici un extrait de la définition du rétablissement que Sarah propose :
« Quand on se rétablit d’un rhume, d’une jambe cassée, ou même d’un cancer, le rétablissement désigne l’absence de symptôme, or, le rétablissement en psychiatrie, ce n’est pas l’absence de symptôme, c’est une question de ressenti, de satisfaction, même si des symptômes persistent ou peuvent réapparaître. Ainsi, le rétablissement n’est pas associé à une absence de handicap. Le rétablissement c’est un parcours, et une appréciation de ce parcours.
L’idée principale du rétablissement, c'est que, malgré la maladie, malgré des symptômes qui persistent, il est possible de se construire une vie qui a du sens. Se rétablir, c’est reprendre confiance en soi pour mieux défendre ses intérêts, s’autodéterminer, opérer des choix de vie et retrouver un sentiment de responsabilité envers soi-même. La notion d’espoir est indissociable de celle de rétablissement.
Se rétablir, ou être en rétablissement, c’est accepter ses rythmes, ses limites et les difficultés du moment, et être prêt à essayer de nouvelles choses, à se construire de nouveaux outils, rendre possible la réussite tout en acceptant qu’échouer fait partie de ce cheminement fait de petits pas, de pas de géants et de pas en arrière. Se rétablir, c’est devenir son meilleur ami et célébrer toutes les victoires, des plus petites aux plus grandes. »
Je vous invite à lire la suite de cette définition sur le blog de Sarah Jolly : Une si belle folie.
Le terme rétablissement est la traduction du mot « recovery » en anglais. Or, cela fait six ans que je côtoie ce terme dans le cadre du projet que je mène aux États-Unis. Je peinais jusqu'ici à le traduire, le mot guérison ne me satisfaisant pas. Là-bas, je travaille dans le domaine de l'addiction avec des personnes qui cherchent « la recovery » ou sont « en recovery ». Certaines d'entre-elles deviennent même des « recovery coach ». Si jusqu'ici, je comprenais bien sûr de quoi il s'agissait, cela ne correspondait pas en français à un concept qui m'était familier. Et pour cause : la notion de rétablissement en santé mentale ne se diffuse que depuis une petite dizaine d'années en France.
Je me reconnais dans la définition que donne Sarah du rétablissement. Cette définition, je me dis qu'il faudrait la mettre dans les mains de toutes les personnes qui vivent ou ont vécu, comme moi, avec un trouble psychiatrique. Tant qu'on y est, il faudrait aussi la mettre dans les mains de leurs proches, de leurs collègues, et puis finalement, pourquoi pas la disséminer à grandes eaux dans toute la société. Je vous rappelle que 30% d'entre nous sont concernés. Et si l'on compte nos proches, ça fait combien ?
Mais revenons au Cofor, structure dont, vous l'aurez peut-être compris, j'ai découvert l'existence grâce à Sarah et ses compères usagers-militants rennais. Au Cofor, ceux que l'on nomme ailleurs usagers ou bénéficiaires sont appelés étudiant.e.s ou anciens étudiant.e.s. Ils et elles suivent ou ont suivi le parcours de formation de rétablissement en santé mentale de l'association. Chacun et chacune assiste ou a assisté à un ensemble de modules qui valide le parcours de formation. Une formation pour apprendre à se rétablir, étonnant non ?
Lorsque j'ai assisté à cette réunion hebdomadaire ouverte nommée focus group (1), j'ai retrouvé l'approche et la philosophie de l'éducation populaire, celle-là même que nous mobilisons au sein de L'œil parlant, en créant des espaces où les personnes peuvent remettre du sens sur des expériences de vie complexes ou parfois tragiques, des espaces où leur voix comptent plus que les autres, où elles reprennent des forces et retrouvent de la dignité. C'est ce que j'ai observé ce jour-là au Cofor. La voix de chacun.e compte. Le cadre est posé pour que les personnes qui souhaitent s'exprimer puissent le faire. Et croyez moi, elles le font. Cela fonctionne car l'approche du Cofor est participative et que les étudiant.e.s ou anciens étudiant.e.s participent à la co-construction de l'offre de formation. Cela fonctionne aussi parce que les facilitateurs et facilitatrices qui animent les modules de formation sont recruté.e.s parmi les anciens étudiant.e.s, mais aussi parce qu'ils et elles contribuent à l'évaluation du parcours de formation. Envie d'en savoir plus sur le Cofor, allez jeter un œil sur leur site.
Lors de ma première lettre, je vous avais parlé du CSTC. La cafet de l'hôpital. Mon camp de base. Si la légèreté et la joie y sont toujours au rendez-vous grâce à la personnalité des soignant.e.s, elles ont ces derniers temps un goût amère. Des membres de l'équipe sont en arrêt depuis un moment. Par ailleurs, les recrutements sont difficiles à l'échelle de l'hôpital car la psychiatrie « n'attire pas ». Les plus motivé.e.s font de leur mieux mais je vois bien qu'ils et elles s'épuisent...
De mon côté, j'avance à grand pas vers la fin de ma résidence, me sentant déjà nostalgique de ces quelques mois passionnants passés aux côtés des patient.e.s de l'hôpital.
À bientôt.
1/ Le focus group est un temps régulier d'échanges, de rencontre, d'accueil et de prise de décision entre les participant.e.s au Cofor et aussi avec les personnes qui souhaitent intégrer le projet.
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