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LA LETTRE
ET LA PHOTO


Cette année, j'ai la chance d'être accueillie en résidence par la galerie Le Carré d'Art à Chartres de Bretagne (Réseau Diagonal), pour y développer un travail autour de la santé mentale. J'ai entamé cet été une étape de recherche que je vais poursuivre cet automne et durant l'hiver, jusqu'à aboutir à un projet de livre et d'exposition en mai 2023. J'ai par ailleurs décidé de tenir un journal de résidence. Je vous livre ici les premiers mots de ce journal.

À bientôt.
Adeline




Journal de résidence
AOÛT 2022


Je viens de passer deux semaines au CSTC de l'Hôpital Guillaume Régnier à Rennes. CSTC. Obscure acronyme pour un lieu qui lui ne l'est en rien. CSTC pour Centre Socio-Thérapeutique et Culturel. CSTC pour dire autrement la Cafet. Deux semaines à écouter ou parfois papoter. Deux semaines à observer des corps, des relations d'entraide, des solitudes aussi. Deux semaines dans un espace de soin. Deux semaines à l'hôpital. 15 jours dans un lieu qui ne ressemble en rien à l'hôpital. Un bunker1 où des anciens patients viennent socialiser en toute sécurité. Un espace de transition réel et symbolique entre l'hôpital et la cité pour les patients hospitalisés. Un café où le prix dérisoire des consommations nous indique que l'objectif du lieu n'est en rien pécuniaire. Un lieu où les serveurs sont aussi des soignants. Un lieu comme un outil de soin. Un espace aux lisières de la cité, aux lisières de la santé.

Durant ces deux semaines, j'ai mené ce que j'ai spontanément nommé des entretiens de recherche. Je voulais écouter ce que les patients avaient à me dire. Je voulais entendre leurs expériences. On a parfois parlé de l'hôpital, de l'expérience de l’hospitalisation en service psychiatrique, mais là n'était pas le cœur de ma recherche.

Ils et elles ont accepté de mettre des mots sur leurs histoires. J'ai entendu : errance médicale, tentative de suicide, idées noires, burn-out, dépression, épisode maniaque, bouffée délirante, pétage de plomb. Souvent, le moment de bascule dans la trajectoire des personnes qui m'offraient leur histoire était connu. Une séparation. Un burn-out. Des violences conjugales ou intrafamiliales. Un trauma. La perte d'un proche, ou encore une intelligence hors-norme. Parfois, l'explication était coincée dans les replis de l’inconscient des patients. Et parfois, il n'y avait aucune explication apparente.

Ce que la recherche actuelle nous dit c'est que les troubles sont souvent d'origine génétique et que l'environnement et les expériences de vie font le reste. L'hérédité : pour le meilleur et pour le pire.

Au fil des rencontres, l'enthousiasme à l'attention de mon projet grandissait. On parlait de moi. Des patients venaient à ma rencontre. D'autres se faisaient rabatteurs, mais c'est d'abord l'accueil des soignants qui m'a permis de trouver ma place dans cet espace, à la fois particulier et banal. Je les en remercie grandement.


Dans ce lieu, situé entre le dedans et le dehors, les corps sont les premiers indicateurs d'une forme d'anormalité pathologique2. Il y avait des corps maigres et des corps gros. Des corps au ralenti. Des corps hyperactifs ou des corps tremblants. Et aussi, des corps scarifiés. Et puis il y avait les autres. Ces corps suggérant une absence, un ailleurs où celui ou celle qui s'est frayé un chemin sans retour vers ce que le langage populaire nomme folie gît dans toute sa splendeur...

Au cours de ces deux semaines, il m'est parfois arrivé, en dehors de l’hôpital, d'observer ces mêmes corps, ces mêmes singulières présences ou ces mêmes étonnantes absences. Où donc est la frontière entre la maladie et la santé mentale? Je ne crois pas qu'elle se situe à l'endroit des murs et des grillages qui protègent l'hôpital...

Je ne m'attendais pas à passer deux semaines aussi "normales". Je travaille auprès et avec les traumas depuis plusieurs années. Je réalise aujourd'hui qu'à cet endroit de travail et de rencontre, je me sens chez moi. En menant ces entretiens de recherche, j'ai aussi compris qu'ils faisaient partie de ma méthode de travail. J'en ai beaucoup mené aux États-Unis pour le projet que je développe sur le champ des addictions. Cette nouvelle expérience m'a permis de repérer un schéma, une répétition.

Peut-être vous demandez-vous pourquoi je mène ces entretiens ? Eh bien c'est parce que selon moi, c'est d'abord l'expérience des personnes concernées qui compte. Je sais bien que l'objectivité en matière de photographie documentaire est un leurre - et d'ailleurs je ne la recherche en rien - ceci étant, j'ai à cœur de nourrir ma réflexion et mon travail par ces rencontres et ces échanges. C'est aussi une façon de développer un rapport de confiance avec des personnes vulnérables (ou pas) que je pourrais ensuite être amenée à photographier. Mais au départ, c'est bien la rencontre qui prime, et je crois bien qu'elles le perçoivent.




1/ Le terme “bunker” a été employé par un patient lors d’un entretien pour décrire un espace où l’on peut se sentir protéger, quoi qu’il arrive.

2/ Je reviendrai plus tard sur la question de la norme qui traverse ce projet de bout en bout. Terme inopérant et en même temps précieux pour interroger le rapport que les sociétés entretiennent avec leurs fous.

À BIENTÔT

Au plaisir de vous lire
de vous entendre
ou de vous voir.


Adeline




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All rights reserved © Adeline Praud

Photographe, je suis basée à Nantes,
et travaille en France et à l'étranger.

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adeline praud . auteure photographe · rue Haute Roche · Nantes 44000 · France

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